Le 11 avril est la date de la journée mondiale de la maladie de Parkinson. Nous aurions donc pu écrire un article sur cette maladie. Pourtant nous avons préféré mettre en lumière une autre maladie, moins connue et souvent confondue avec la maladie de Parkinson ou avec la maladie d’Alzheimer d’ailleurs : la maladie à corps de Lewy.
Pour cet article nous avons interviewé Philippe de Linares, Président de l’Association des aidants et malades corps de Lewy (a2mcl). Il était intervenu en novembre à Reims, avec le Dr Frédéric Blanc, neurologue au CHU de Strasbourg dans le cadre des Journées d’éthique Alzheimer et maladies neuro-évolutives *.
* Nous avons mis la captation vidéo de cette intervention en fin d’article.
I. Qu’est-ce que la maladie à corps de Lewy ?
La maladie à corps de Lewy est une maladie neuro-évolutive provoquée par le dépôt anormal d’une protéine à l’intérieur de certains neurones. Ces dépôts anormaux forment des inclusions à l’intérieur des neurones ; on appelle ces inclusions des corps de Lewy.
Pour la petite histoire
Les corps de Lewy ont été nommés ainsi en l’honneur du Dr Friederich Heinrich Lewy, neuroanatomiste et psychiatre allemand qui en 1912 a été le premier à décrire ces lésions.
La maladie à corps de Lewy est handicapante parce que ses multiples symptômes sont difficiles à vivre pour le malade et son entourage. Elle est beaucoup moins connue que la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson. Pourtant elle est très fréquente (environ 20% des cas de maladies neurocognitives). La maladie à Corps de Lewy est la deuxième maladie neuro-évolutive la plus fréquente après la maladie Alzheimer. Les Anglais la surnomme : “la maladie la plus commune dont vous n’avez jamais entendue parler”.
On est certain qu’en France il y a au moins 150 000 personnes atteintes et on pense que c’est autour de 180 000. Certains parlent de 200 000. Il faut savoir que ⅔ des malades ne sont jamais diagnostiqués au cours de leur vie.
Remarque :
180 000 c’est aussi à peu près le nombre de personnes atteintes de la maladie de Parkinson en France. C’est également l’équivalent de la population de la ville de Reims !
La maladie à corps de Lewy débute généralement après l’âge de 50 ans. Elle semble affecter un peu plus les femmes que les hommes. L’évolution de la maladie est très variable. L’espérance de vie à partir du diagnostic peut varier de 2 à 20 ans. Il n’existe pas actuellement de traitement curatif, mais il existe des traitements symptomatiques.
II. Quels sont les principaux signes cliniques de la maladie à corps de Lewy ?
Ian Mac Kieth professeur de psychiatrie du sujet âgé à Newcastle en Angleterre a défini des critères diagnostiques qui sont utilisés par les médecins à l’échelle internationale.
La perte de capacités cognitives est constante. C’est souvent l’un des premiers symptômes de la maladie.
Il y a ensuite 4 grands critères cardinaux. Si l’un de ces 4 critères est présent, le diagnostic de maladie à corps de Lewy est possible. S’il y en a 2 ou plus, le diagnostic est probable.
1. Des fluctuations cognitives et/ou de la vigilance.
Ce sont des changements imprévisibles dans la concentration, l’attention, la vigilance et l’éveil. C’est un symptôme assez mal appréhendé par les médecins. En effet, les fluctuations sont peu perceptibles par les médecins qui voient les patients sur un laps de temps court. De plus quand ils voient les patients, souvent ceux-ci sont bien. Les Américains parlent du “show time” : en présence d’un tiers et d’une autorité médicale, les malades ont tendance à se montrer sous leur meilleur jour et à donner l’apparence d’aller bien (représentation). C’est très spectaculaire, à tel point que beaucoup de soignants pensent que les malades à Corps de Lewy simulent. Ce sont plutôt les aidants qui remarquent ce signe.
2. Des hallucinations visuelles.
Elles sont très fréquentes. Environ 80% des malades font l’expérience d’hallucinations visuelles, parfois auditives, ou olfactives.
Quand elles sont visuelles, le patient voit des formes simples, comme une sensation de passage ou de présence. Ce sont souvent des visions de personnes, de visages, d’enfants ou de petits animaux. Le malade est en général très lucide sur ces visions : il sait que ce sont des hallucinations et qu’elles ne sont pas réelles. Les formes des hallucinations en elles-mêmes ne sont pas angoissantes mais le malade peut être angoissé de ne pas comprendre ce qui lui arrive.
3. Des troubles du comportement du sommeil paradoxal
Le patient peut être très agité pendant son sommeil, crier, s’agiter, se lever du lit, être agressif envers son entourage. Il peut avoir des actions qui font penser qu’il est réveillé alors qu’il dort profondément. C’est une forme de somnambulisme très particulière.
4. Un syndrome parkinsonien
A savoir :
Le syndrome parkinsonien correspond à une triade de symptômes : 1. L’akinésie (lenteur à effectuer les gestes) 2. Le tremblement de repos 3. La rigidité (c’est-à-dire une raideur et une résistance aux mouvements).
Tous les malades ne développent pas l’ensemble de ces symptômes. Il y a par exemple des malades qui n’ont jamais de syndrome parkinsonien, d’autres n’ont jamais d’hallucinations. Certaines hallucinations passent inaperçues car ce sont des hallucinations auditives.
Les modes d’entrée dans la maladie sont très variables. Parfois, les symptômes commencent par des manifestations neurovégétatives comme une constipation, une perte du goût ou de l’odorat plusieurs années avant.
D’autres signes sont évocateurs comme une grande anxiété ou une dépression. La dépression peut être un mode d’entrée dans la maladie.
III. Qu’est-ce qui rend le diagnostic de maladie à corps de Lewy difficile ?
Plusieurs raisons expliquent la difficulté de poser le diagnostic de maladie à corps de Lewy et les erreurs possibles :
1. Une maladie identifiée récemment
C’est une maladie identifiée relativement récemment, au milieu des année 1990 (il y a environ 25 ans). Beaucoup de médecins n’ont pas du tout été formés à cette maladie pendant leurs études et les plus jeunes, formés par les plus anciens n’ont qu’une formation succincte sur la maladie à corps de Levy. Donc la formation des soignants est largement insuffisante.
2. Une maladie apparentée à la maladie d’Alzheimer
La maladie à corps de Lewy n’est pas très connue d’une part mais par ailleurs elle n’est pas reconnue comme une entité à part entière. Elle est répertoriée soit dans les maladies apparentées à la maladie d’Alzheimer soit dans la maladie de Parkinson. Cela signifie que le premier symptôme constaté oriente le diagnostic. La maladie à corps de Lewy peut alors être confondue avec une maladie de Parkinson idiopathique ou avec la maladie d’Alzheimer.
Historiquement on ne parlait que de démences, quand on ne savait pas ce que c’était. Au XXème siècle quand on a découvert la maladie d’Alzheimer on a parlé uniquement de maladie d’Alzheimer et pour les autres, comme on ne savait pas, on a parlé de maladies apparentées. Ça permettait de mettre les gens dans une des 3 cases : Alzheimer/Maladie apparentée ou Parkinson. Puis on est resté sur cette nomenclature. Le terme de « maladies apparentées » est très mal adapté car il entretient la confusion, y compris chez les soignants.
3. Une variabilité de symptômes
Les symptômes de la maladie arrivent dans le désordre et sont très variables d’un malade à l’autre. En début de maladie, les tableaux cliniques sont très différents. Un médecin peut voir arriver un malade qui a simplement des hallucinations et des troubles du comportement du sommeil paradoxal. Bien sûr il y a quand même au départ des troubles cognitifs. Mais ceux-là peuvent faire penser à une dépression. Le malade a du mal à se concentrer, à rester attentif, à ranger ses papiers… Tous ces signes correspondent des troubles cognitifs. S’il y a des hallucinations ou des troubles du comportement du sommeil paradoxal ça suffit à diagnostiquer sûrement une maladie à corps de Lewy.
Le malade suivant va avoir des troubles cognitifs du même type mais il présentera aussi un petit syndrome parkinsonien et de très grandes fluctuations. Ces 2 malades peuvent avoir une maladie à corps de Lewy alors qu’ils n’ont pas du tout le même tableau clinique au départ.
4. Des fluctuations difficiles à constater par les soignants
Enfin, nous l’avons déjà signalé mais le fait que les médecins et les soignants voient les patients sur un laps de temps très court peut rendre difficile l’appréhension des fluctuations cognitives. Il est important que l’entourage puisse apporter des informations nécessaires au diagnostic clinique. Moi je l’ai constaté avec ma femme. Un jour une infirmière m’a dit, alors qu’elle était hospitalisée pour confirmer le diagnostic : “On voit bien qu’elle simule votre femme.”. Je lui ai dit : “Ah ! bon, et pourquoi ?” “Tout à l’heure elle était grabataire, elle ne répondait pas à mes questions et là maintenant elle est dans le couloir et elle bavarde avec la neurologue comme vous et moi”. C’est beaucoup plus fréquent qu’on ne croit et certains patients sont orientés vers la psychiatrie et ont un parcours difficile et compliqué.
IV. Pouvez-vous nous parler de votre expérience personnelle ?
1. De l’expérience de proche aidant…
J’ai accompagné ma femme qui avait la maladie à corps de Lewy. Elle avait perdu l’odorat 15 ans avant qu’on ne la diagnostique. Elle était entrée en dépression un an avant le diagnostic et elle avait des troubles cognitifs confondus avec des troubles liés à la dépression.
Pour ma femme le diagnostic initial posé a été celui de dépression puis celui de maladie de Parkinson.
J’ai fait connaissance avec la maladie à corps de Lewy grâce à internet. Ma femme présentait des symptômes que je ne comprenais pas. Elle avait par exemple un syndrome de Capgras : le malade prend son proche pour un sosie malveillant. Elle me prenait pour un sosie ; je n’étais pas son mari, j’étais quelqu’un d’autre. J’observais cela, et des grandes fluctuations, plus des hallucinations dont elle n’osait pas parler.
Pour rappel, les visions des hallucinations de la maladie à corps de Lewy ne sont pas angoissantes en elles-mêmes mais le fait de se rendre compte qu’on a des hallucinations peut l’être.
Ces troubles-là m’ont poussé à fouiller sur internet. Sur des sites canadiens et américains j’ai découvert que ces troubles ressemblaient beaucoup aux descriptions de la maladie à corps de Lewy. Je suis allé voir la neurologue de ma femme en lui disant : “Pour moi elle a autre chose qu’une maladie de Parkinson et une dépression”. Je lui ai raconté tout ce que j’avais constaté. Elle m’a dit “Oui, on est peut-être passé à côté d’autre chose”. Elle l’a hospitalisée et après observation et des examens radiologiques elle a conclu à une maladie à corps de Lewy.
Il est important de faire un diagnostic très tôt. Quand on explique aux malades et à leurs familles les symptômes, le fait que ce soit normal d’avoir des fluctuations, de voir des petits animaux qui passent sur le tapis, que ça fait partie de la maladie et qu’il ne faut pas s’en effrayer, ils vivent beaucoup mieux la maladie. Il n’y a pas d’étude scientifique mais on constate aussi que ces malades évoluent moins que les autres. Je suis persuadé qu’un malade qui connaît ses symptômes est beaucoup moins anxieux. Ma femme elle, était très angoissée par les hallucinations dont elle n’osait pas me parler. Elle me disait : « Je perds la tête ». Je lui répondais « Mais non, pourquoi tu dis ça » mais elle ne voulait pas m’en dire plus. Elle était dans un état d’anxiété et de panique qui dans ce type de maladie n’est pas bon.
2. … à celle d’aidant expert.
J’ai essayé de me tourner vers des associations. Quand elle était diagnostiquée Parkinson, je me suis tourné vers France Parkinson puis vers France Alzheimer. Je voulais entrer en relation avec d’autres familles qui accompagnaient un proche avec une MCL mais ça n’a pas été possible.
J’ai donc commencé à chercher d’autres familles sur internet. Petit à petit j’ai rencontré d’autres aidants et on a décidé d’échanger par mails, pour se serrer les coudes. On a créé comme ça un réseau d’aidants longtemps hébergé au sein de France-Alzheimer parce que l’association avait tout à fait conscience du besoin d’accompagnement spécifique pour la maladie à corps de Lewy. Ce réseau était censé assumer cette fonction-là.
On s’est aperçu il y a un peu plus d’1 an qu’en fait ça entretenait la confusion avec la maladie d’Alzheimer. Nous avons alors décidé de créer une association spécifique. On était une quinzaine à l’assemblée constitutive et on est maintenant 320. Il y a manifestement un gros besoin. On voit beaucoup de gens en grand désarroi car après des mois d’errance diagnostique, ils apprennent qu’il s’agit d’une maladie à corps de Lewy et quand ils trouvent notre site internet, ils sortent de la solitude.
V. Que propose l’association a2mcl ?
1. Communiquer sur la maladie
Nous voulons faire en sorte que la maladie à corps de Lewy soit mieux connue. Nous essayons de faire de la communication sur cette maladie. Notre marraine est Catherine Laborde, ancienne présentatrice de télévision et elle-même atteinte de la maladie. Elle nous soutient beaucoup dans cette communication. Quand on arrivera à faire mieux connaître la maladie au grand public, aux autorités médicales et politiques et aux autres associations, les soignants, les médecins la connaîtront mieux et chercheront à mieux se former. Si on fait connaître la maladie, elle sera beaucoup mieux prise en compte dans tous les domaines et les malades seront mieux accompagnés.
2. Accompagner les malades et les familles
Le deuxième objectif c’est d’accompagner aussi les familles. Nous leur donnons de la documentation. L’association a une ligne téléphonique dédiée pour leur donner de l’information. Nous réalisons des formations pour les aidants (notamment au sein de la plateforme de répit delta 7 dont nous vous avions parlé ICI). L’association a maintenu le réseau des aidants qui existe sur internet via les adresses mails. Nous venons de rajouter un système de réseau et de communication par mails pour les personnes atteintes de la maladie,. Cela leur permet d’échanger entre elles. Nous organisons des réunions d’aidants une fois par mois à Paris et dans d’autres villes (Lyon, Chambéry, Aix en Provence, Bordeaux, etc…). L’association dispose également d’une psychologue qui fait quelques téléconsultations.
3. Favoriser la recherche
Enfin nous essayons de favoriser la recherche grâce aux dons et aux adhésions. Dès la première année de la création de l’association, nous avons financé 2 masters pour que des chercheurs travaillent sur la MCL. Nous avons un comité scientifique qui nous propose des projets de recherche que nous pourrions financer ou aider à financer.
Vous trouverez sur le site d’a2mcl une base documentaire très riche. Pour consulter leur site, c’est ICI.
Si vous souhaitez voir ou revoir le dialogue entre Philippe De Linares et le Dr Fréderic Blanc lors des journées d’éthique qui se sont déroulées à Reims en novembre, la vidéo est juste en dessous.
N’hésitez pas à commenter l’article, à nous poser vos questions si vous en avez. On vous dit à bientôt et d’ici là, prenez soin de vous !
Je n’avais jamais entendu parler de cette maladie.
Par hasard tout à l’heure sur la 5 une personne a parlé de son mari en expliquant ses difficultés qui l’ont amenée à le placer.
Sa famille disant que ce n’était pas sa place et qu’il n’avait rien.
Votre article est formidable..
Je croyais que Catherine Laborde
Avait la maladie de Parkinson.
j’ai 74 ans et j’avoue m’intéresser à tout ce qui peut arriver en vieillissant car je ne veux pas subir mais assumer ce qui m’arrive autant que possible et pendant qu’il est encore temps.
Merci encore
Très cordialement
Annick Cecile
Merci Annick Cécile, ce commentaire nous fait chaud au coeur. Si l’article a pu vous être utile, nous avons atteint notre but ! Pour ne pas « subir » la vieillesse, nous ne pouvons que vous conseiller de garder cet esprit ouvert et de conserver de bonnes habitudes hygiéno-diététiques (n’hésitez pas à consulter le site mangerbouger.fr qui regorge de bons conseils 👍).
tres interresany
Merci pour votre commentaire !